Rencontre avec Raphaël FEVRE

Maître de conférence en Sciences Économiques

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Après ma licence d’économie gestion, je me suis spécialisé dans l’histoire de la pensée économique et la philosophie économique. À l’époque, il y avait peu de master sur cette spécialisation, j’ai donc quitté ma région, destination Paris pour intégrer l’Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne dans le cadre d’un master.
C’est en master 2 que j’ai commencé, via la rédaction de mon mémoire, à prendre goût à l’écriture et à la recherche. C’est à la même époque que j’ai également donné mes premiers cours de TD, cette expérience a été mon premier point d’ancrage avec l’enseignement. J’ai tout de suite accroché, cela a confirmé mon choix ! J’aimais la recherche et donner des cours, j’ai alors décidé de préparer une thèse.

À l’été 2012, j’ai candidaté pour une bourse de thèse à l’Université de Lausanne en Suisse et obtenu un contrat pour 5 ans1 en cotutelle avec L’Université de Paris 1. J’ai soutenu ma thèse fin 2017 à Lausanne puis j’ai effectué un post-doc à l’Université de Cambridge en Angleterre au département « POLIS » (sciences politiques) jusqu’à mon recrutement ici.
 
Pour nos étudiants, pouvez-vous nous expliquer brièvement la fonction « d’enseignant-chercheur » ?

C'est une double fonction, un double cœur de métier !
L’aspect chercheur d’une part, lorsqu’on rédige des travaux de recherche ou une thèse par exemple. La recherche est un travail de longue haleine, qui consiste à lire, se documenter, réfléchir à des problématiques à des questionnements qui sont débattus au sein de la discipline et y porter un regard singulier. 
L’aspect enseignement est l’autre fondement de ce métier, orienté vers la proposition de cours dispensés dans le cadre d’un cursus de licence ou master à l’Université.
Bien que ces 2 aspects semblent parfois être complétement distincts, on a aussi l’opportunité de présenter dans nos cours des points de notre recherche.

Pourquoi avoir choisi de devenir enseignant chercheur ?

C’est en master que cela m’est apparu comme une évidence. C'est d’abord le plaisir de lire et d'écrire, certes plus ancien, que j’ai pu retrouver dans mon travail de mémoire puis de thèse. C’est un plaisir un peu général qui a commencé avec la littérature, mais qui a grandi au fur et à mesure de mes études. En ce qui concerne la thématique de l’économie, j'ai accroché dès la terminale avec les sciences économiques et sociales. Cette thématique traite les sujets de société avec des enjeux politiques et des enjeux théoriques qui m'intéressent. J’ai donc en quelque sorte redirigé cette envie un peu générale, ce plaisir de lire et d’écrire, vers cette thématique spécialisée. Plus tard, en encadrant des TD pendant mon master, puis en prenant en charge mes premiers CM en doctorat, je me suis découvert un vrai goût pour l’enseignement. Cette voie d’enseignant-chercheur s’est ainsi imposée à moi assez naturellement.

Au sein de quel laboratoire effectuez-vous votre recherche ? Sur quelles thématiques ?

Je suis membre du Laboratoire GREDEG qui a un axe spécialisé en histoire de la pensée et philosophie économique récente. C'est-à-dire que mes recherches se portent sur le 20e siècle et après la 2nde guerre mondiale. Au GREDEG, j’ai pu approfondir le travail commencé pendant ma thèse et qui concerne l’ordo libéralisme allemand. Cette école de pensée, peu connue du grand public, mais extrêmement importante dans la construction de la politique économique allemande et européenne, s’est développée à partir des années 30, alors que l’Allemagne était marquée par l’essor du nazisme. Mes travaux tâchaient principalement de mieux saisir quels étaient les éléments structurants de cette pensée, et de faire le lien avec le champ des sciences économiques et sociales.
Au début de cette année, j’ai publié un livre, en anglais, qui reprend et développe mes contributions à ce sujet : A Political Economy of Power: Ordoliberalism in Context, 1932-1950 publié aux Oxford University Press.

Avez-vous des projets recherche dont vous aimeriez nous parler ?

Aujourd’hui, je fais des recherches non plus seulement sur l'Allemagne, mais sur la France, avec une thématique « Comprendre comment se structure la discipline économique, comment évolue la façon de faire de la science économique en France des années 1930 aux années 1950 ».
Je mène ces travaux en binôme avec Nicolas Brisset. Ensemble, nous nous sommes aperçus que pendant la période de Vichy, les économistes ont continué d’être actifs et de travailler, à développer des idées. On peut même dire qu’un pas décisif a été fait durant la seconde Guerre Mondiale dans l'institutionnalisation de la discipline économique comme science d'expertise qui va apporter son savoir au pouvoir politique pour essayer de le guider.
Nous avons écrit pas mal d'articles sur le sujet, mais notre ambition est de produire quelque chose de plus large, de rédiger un livre en anglais sur cette thématique-là.

Quels liens faites-vous entre vos enseignements et vos thématiques de recherche ?
Mes cours ne sont pas centrés uniquement sur mes travaux de recherches, mais régulièrement, lors de certaines séances, j’arrive à apporter des éléments qui me sont plus personnels que je réorganise sous une forme condensée et plus pédagogique.
C'est important de confronter ses idées, d’essayer d'expliquer ses résultats à un public moins spécialisé et plus large, voir si c'est clair, si on arrive à les rendre compréhensibles, c'est vraiment fondamental.
Il y a toujours des réactions d'étudiants, des questions de leur part, qui nous font aussi nous interroger sur nos propres problématiques, considérer le problème sous un jour nouveau ou aborder des sujets qu'on n'avait pas envisagé ; et donc ça peut nourrir aussi la façon dont on va aborder, questionner à nouveau notre recherche.

Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent devenir enseignant-chercheur ?
C’est un conseil très simple, que j’ai appliqué personnellement : « poursuivre ses études par ordre d’intérêt, de passion pour les cours et les thématiques ». Cela m’a permis de m’orienter plus facilement et de comprendre plus facilement ce que je voulais faire ensuite.
Au-delà de l'idée de ce qu'on se fait d'être enseignant chercheur, il faut absolument que le champ dans lequel on se spécialise et réalise la recherche passionne ! Le sujet de thèse, notamment, devra nous tenir en haleine pour des années, parce que même après la thèse de doctorat, c’est parfois compliqué de se détourner totalement de son sujet initial, d’où l’importance de choisir une thématique pérenne pour soi d’abord, pour la communauté scientifique également.

Quels sont vos projets/objectifs pour l’avenir ?

Mon objectif principal concerne la recherche. Je souhaite publier un livre co-écrit avec Nicolas Brisset sur l'histoire de l'institutionnalisation de la discipline économique en France dans les années 30-50. C’est un objectif assez clair et donc j'espère que ce sera possible de l’atteindre dans les prochaines années, bien qu’il reste encore beaucoup de travail !
En termes d’enseignements, j’aimerais développer et apporter plus de contenu interactif à mes cours, que ce soit pendant les cours ou en ligne sur la plateforme Moodle pour accompagner mes étudiants dans leurs révisions, mais aussi dans l’approfondissement des thématiques enseignées.
Arrivé à la rentrée 2020, durant la crise sanitaire, j’ai aussi à cœur de découvrir davantage mes collègues et de partager avec eux des moments de convivialité.

Date de l'interview : juillet 2022

1en Suisse les contrats de thèse sont conduits pour 5 ans.